Le baromètre La séparation peine à s’imposer
Près d’un an après la mise en place de la séparation, de nombreux agriculteurs déclarent que leur distributeur fait toujours du conseil. Tour d’horizon des parties prenantes pour expliquer ces résultats, pour le moins surprenants.
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C’est peu de dire que les résultats de notre enquête Agrodistribution-ADquation interpellent : plus d’un agriculteur interrogé sur quatre (27 %) indique que son distributeur a choisi le conseil phytos, et non la vente. Et ce, qu’il soit une coopérative (25,8 %) ou un négoce (29,4 %). Une situation peu représentative de la réalité car, à l’exception d’Euralis et Limagrain (lire p. 32), c’est la vente qui a été massivement choisie. Les 27 % pourraient-ils être uniquement des adhérents de ces deux coopératives ? Pour Marie Lippens, directrice d’études Ad Hoc chez ADquation, la réponse est non : « Les 27 % sont répartis un peu partout géographiquement, et il y en a même dont le distributeur principal est un négoce. » Alors comment expliquer ce chiffre ? Antoine Hacard, président de La Coopération agricole Métiers du grain, réagit : « Je ne suis pas très étonné. On l’avait expliqué aux pouvoirs publics en disant que nous avions besoin de temps, car nous travaillons avec de l’humain : les adhérents et les équipes de TC. Tout ça dans un contexte Covid. Une telle réforme ne se met pas en place en un an. On est sur une trajectoire de progrès. » Concernant ces 27 % et les 25 % qui prennent toujours leur conseil phytos auprès de leur structure ayant choisi la vente (question 2), Antoine Hacard pointe une possible confusion entre l’information à l’utilisation des produits phytos, réalisée lors de la vente, et le conseil de préconisation phytos : « Les agriculteurs font-ils la différence ? » François Gibon, délégué général de la FNA, évoque la même hypothèse. « Dans la deuxième partie de la question, on parle de “prendre conseil”. Est-ce que l’agriculteur est allé chercher un conseil de préconisation ? Ou une information produit, du ressort du distributeur ? On est sur une zone pointue de définitions. »
Même interlocuteur, nouvelle structure
Le pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA) a une autre hypothèse pour expliquer les 27 % : si l’interlocuteur de l’agriculteur n’a pas changé, la structure si, engendrant une confusion. « Il y a, par exemple, des sociétés de conseil qui se créent avec l’actionnariat de coopérative ou de négoce via d’anciens salariés de ces distributeurs, illustre Julie Coulerot, secrétaire du PCIA. L’interlocuteur étant le même, pour lui, la coopérative ou le négoce a choisi le conseil, alors que non. »
Concernant la deuxième question sur les nouvelles sources de conseil, Elie Dunand, vice-président du PCIA, n’est pas surpris que les chambres d’agriculture ressortent en tête. « Elles font aussi des préconisations via leurs bulletins d’information. Des agriculteurs ont probablement répondu qu’ils prenaient des conseils auprès des chambres car ils reçoivent directement certaines informations. » Le conseiller est plus surpris par le faible résultat enregistré par les Ceta et Geda. « Mais il y a probablement eu mélange avec les chambres d’agriculture, les animateurs étant parfois communs », envisage Julie Coulerot. Pour Claudine Joly, chez France Nature Environnement, la vraie question est : « Est-ce que la réforme a fait basculer les agriculteurs vers d’autres conseils ? » Pour François Gibon, oui : « Beaucoup sont allés chercher ailleurs. Le sondage montre qu’il y a bien eu une rupture. »
Claudine Joly n’est pas étonnée par les 25 % prenant toujours conseil auprès de leur distributeur. « Il faudra voir l’impact de la séparation sur plusieurs années. » La représentante de l’ONG plaide pour une prescription obligatoire, au moins pour les produits les plus dangereux. De son côté, le PCIA a constaté sur le terrain des conseils prodigués par des distributeurs ayant choisi la vente, et compte sur la vigilance et les contrôles des services de l’État. « À plusieurs reprises, dans la presse, des technico-commerciaux ont reconnu continuer à faire du conseil sans l’écrire, rapporte Julie Coulerot. Ils conseillent en toute illégalité. Je ne suis d’ailleurs pas sûre que l’utilisateur final se rende vraiment compte qu’il est dans l’illégalité. » Ce possible franchissement de la ligne rouge n’émeut pas Antoine Hacard. « C’est impossible de garantir que les salariés ne fassent plus de conseil spécifique. On travaille pour que ce ne soit plus le cas, mais c’est possible qu’il y ait des dérapages. » Pour le PCIA, l’information manque sur le terrain. « Il est urgent que le ministère de l’Agriculture fasse son travail de communication auprès des agriculteurs, sans parti pris contrairement à ce qu’ont fait certaines Draaf, appuie la conseillère. Ils ont juste été informés du conseil stratégique phytosanitaire obligatoire pour renouveler le Certiphyto, sans parler des alternatives et des différents interlocuteurs en matière de conseil. » Le PCIA reproche notamment une information orientée chambre d’agriculture.
Marion Coisne
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